Dakar, 1er nov (APS) – La difficile problématique de la gestion des
ordures, d’un enjeu crucial partout en Afrique, conduit à moins
prendre en compte la question du recyclage, une activité exigeante et
parfois complexe, mais dont profitent plusieurs acteurs ou personnes
qui en tirent des revenus conséquents au Sénégal.
Rien ne le laisse penser mais le recyclage des déchets plastiques,
électroniques ou biomédicaux est une activité qui peut parfois
s’avérer très rentable, laissent entendre des acteurs publics et
privés interrogés par l’APS.
Ces structures font dans le même temps œuvre de salubrité publique, en
contribuant à débarrasser la ville de déchets parfois tellement
nuisibles à l’hygiène publique et à la santé.
Certaines personnes en ont fait leur gagne-pain, profitant de l’or
caché sous de véritables mines urbaines, même à leurs risques et
périls parfois.
Concernant le recyclage des déchets sanitaires par exemple, la
classification appliquée en la matière fait une nette distinction
entre les déchets à haut risque, extrêmement dangereux et les ordures
assimilées à l’activité des ménages, dont la gestion relève des
compétences de l’UCG, l’Unité de coordination de la gestion des
déchets solides.
« Nous formons des prestataires qui trient les déchets pour les mettre
dans des sachets appropriés, notamment les sachets jaunes pour des
déchets à haut risque, le rouge pour ceux qui sont extrêmement
dangereux et le noir pour les ordures assimilées aux ménages »,
explique la directrice qualité, sécurité et hygiène hospitalière au
ministère de la Santé et de l’Action sociale, docteur Ndella Ndiaye
Konaté.
Pour éviter tout risque d’infection, il est aménagé dans chaque
structure sanitaire, des endroits appropriés pour le tri et
l’incinération des déchets sanitaires.
Elle souligne que les déchets assimilés aux ordures ménagères exclus,
les déchets biomédicaux ne sont pas tous recyclables, compte tenu des
risques d’infection.
« Le ministère de la Santé travaille en collaboration avec celui de
l’Environnement avant de mettre des unités de traitement en place en
vue d’éviter tout risque lié à l’environnement », note docteur Ndella
Ndiaye Konaté.
Dans ce cadre, le ministère de la Santé et de l’Action sociale
travaille de concert avec la Banque mondiale pour obtenir des broyeurs
stérilisateurs « dernier cri », la politique actuellement mise en œuvre
par ce département ministériel étant selon elle de mutualiser les
traitements de déchets.
Les déchets biomédicaux notamment les compresses et autres, étant pour
la plupart extrêmement dangereux, leur centre de stockage et
d’incinération demeure bien sécurisé pour éviter toute contagion et
protéger la population.
Un nouveau modèle de gestion des déchets électroniques proposé par l’ADIE
Contrairement aux déchets biomédicaux, les résidus de matériels
électroniques sont tous recyclables, indiquent des spécialistes.
Cela n’enlève en rien cependant au fait qu’ils peuvent être tout aussi
dangereux pour la population, car contenant certaines matières comme
le plomb, le mercure, le chrome et autres composants cancérigènes.
Pour pallier ces risques, l’Agence de l’informatique de l’Etat (ADIE)
propose un nouveau modèle de gestion de ces types de déchets, en
gérant les matières plus valorisables.
A travers sa direction en charge de la solidarité, cette agence
publique, en collaboration avec une structure européenne spécialisée
en gestion de ce genre de déchets, forme avec certification des agents
au recyclage des déchets électroniques, notamment des personnes vivant
avec un handicap,
Elle envisage également de mettre en place une usine de recyclage pour
renforcer le package des déchets, notamment ménagers par le biais
d’une sensibilisation grand public. Plus de 50 tonnes de déchets sont
recyclés et traités chaque année par cette direction de l’ADIE.
« Nous avons remarqué qu’avec l’avancement technologique, les déchets
électroniques et électriques apparaissent de manière exponentielle au
Sénégal. Les importations ont augmenté dans la période quinquennale de
2013 à 2017, de 70 à 275% du nombre de kilogrammes d’équipements
électroniques et électriques », explique Cheikhou Gassama, chef de
division du projet E-déchet à l’ADIE.
Il reste que selon lui, les déchets électroniques et électriques
renferment d’abord des substances valorisables, comme le fer, le
cuivre, l’or ou l’aluminium.
« Autant des raisons de recycler des déchets, dit-il, car ce sont des
mines urbaines, mais parallèlement, ces équipements renferment
également des substances particulièrement alcalines comme le
phosphore, etc. »
Si le recyclage ne se fait pas dans les normes requises, prévient M.
Gassama, ces substances alcalines peuvent causer des problèmes
sanitaires et des dommages à l’environnement.
« Au Sénégal, il y a le secteur informel qui s’active dans le domaine
du recyclage. Tout en gagnant leur vie dans ce domaine », ces acteurs
« laissent les substances non valorisantes à la portée de tous, ce qui
constitue un risque pour eux et la population », ajoute-t-il.
Cheikhou Gassama signale que les déchets électroniques, une fois
recyclés, sont envoyés dans des établissements scolaires par exemple,
pour servir d’outils de formation aux apprenants.
Certains déchets non récupérables, une fois démantelés, sont
rapidement convoyés sur les sites de certaines entreprises privées
pour être vendus.
« Nous préconisons la professionnalisation du secteur, la prolifération
des filières de recyclage, ainsi que la mise en place d’une grande
unité de recyclage des équipements électroniques qui pourra gérer
toute la sous-région », déclare-t-il.
Il annonce que ce projet a été soumis à un organisme onusien pour son
financement.
LES DÉCHETS PLASTIQUES, RISQUE MAÎTRISABLE
Les pièces des déchets dangereux étant très coûteux, leur recyclage ne
se fait pas au Sénégal, mais en Europe une fois triées, afin qu’elles
y soient détruites, selon le chef de division du projet E-déchet à
l’Agence de l’informatique de l’Etat.
Comme pour les autres ordures, le traitement des déchets plastiques
présente également des risques sanitaires, mais maîtrisables lorsque
les mesures d’hygiène sont prises, assurent des experts.
Cela encourage plusieurs structures à s’adonner au recyclage,
notamment SEN-ECOKAF, une entreprise d’embellissement et de
nettoiement de Kaffrine (centre), avec la précaution particulière que
cette dernière veille particulièrement à l’application des règles
d’hygiène dans la conduite de ses activités.
« Une fois les déchets plastiques récupérés, nous procédons d’abord au
tri par couleur, taille, type de famille, etc. Ensuite, les déchets
sont fragmentés, découpés, broyés, etc. Certains sont lavés, d’autres
sont mis en sac ou en atelier [pour la fabrication] d’autres produits
explique le directeur général de SEN-ECOKAF, Abdou Lahad Ndao.
Selon lui, le recyclage des déchets plastiques reste un procédé de
traitement des matériaux permettant de réintroduire la matière prise
en charge, sans destruction de sa structure chimique, dans la
production d’un nouvel objet.
Il signale qu’il est possible de recycler les déchets en matières
plastiques après leur fragmentation ou après leur dissolution.
Dans le cadre du recyclage mécanique, les plastiques utilisés sont des
matières triées et non contaminées, fait-il savoir.
S’agissant du recyclage après dissolution, il permet d’utiliser les
plastiques contaminés par mélange à d’autres plastiques ou à d’autres
déchets.
Plusieurs structures privées procèdent à des recyclages des déchets
solides, en raison de leur capacité à être revalorisés.
Dans le cas de SEN-ECOKAF, cette structure travaille en collaboration
avec des associations et groupement des femmes à travers des campagnes
de sensibilisation pour obtenir des matières plastiques, indique M.
Ndao.
LA DÉCHARGE DE MBEUBEUS, UNE VRAIE MINE URBAINE
Malgré la difficulté de la tâche et la pénibilité de cette activité,
le recyclage des déchets reste une source intarissable de revenus pour
certaines personnes.
A la célèbre décharge de Mbeubeuss, située à Malika, dans la grande
banlieue dakaroise, des jeunes gens et des personnes plus âgées
s’activent du matin au soir dans le tri et la collecte d’ordures
recyclables.
De loin, les nombreux camions bennes se suivant en file indienne pour
déverser leur contenu de déchets collectés partout à Dakar,
renseignent sur la grande activité de cette place névralgique de la
gestion des ordures dans la capitale sénégalaise.
Sur place, une question d’habitude peut-être, collecteurs et vendeurs
semblent peu indisposés par l’odeur particulière des ordures et la
fumée provenant de l’incinération de certains déchets sans se
plaindre.
« Ce travail est pénible et difficile à accepter pour une personne
normale, mais il permet de gagner énormément d’argent. Il m’a permis
d’acquérir deux maisons familiales à Dakar et un terrain près de la
décharge qui me sert de dépôt », témoigne Ndiaga Guèye, ferrailleur et
tenancier d’un dépôt à Mbeubeus.
Se plaignant du fait que lui et ses collègues sont considérés comme
des bannis de la société, ce ferrailleur assure se satisfaire de
pouvoir gagner en une seule journée, ce qu’un salarié ne peut espérer
gagner en un mois.
« Le prix de vente est arbitrairement fixé par les usines, le kg
d’ordure peut ainsi fluctuer entre 100 et 130 francs CFA, selon la
volonté des uns et des autres, alors que nous l’achetons à 100 FCFA
auprès des jeunes collecteurs », poursuit-il.
Les recycleurs peuvent ainsi traiter en moyenne jusqu’à deux tonnes
par an, même s’ils se plaignent de la mauvaise foi des usiniers en ce
qui concerne la tarification.
« Ma plus grosse vente remonte à l’époque de Wade (l’ancien président
sénégalais Abdoulaye Wade, au pouvoir de 2000 à 2012), comme il y
avait une concurrence entre les usines, j’ai eu à ventre une fois en
une journée 5 tonnes, soit 1.750. 000 francs CFA », ajoute-t-il.
Abdou Gadjé, jeune collecteur de 17 ans, n’est pas le dernier de
Mbeubeuss à se vanter de ses revenus, en moyenne 6 à 7 mille FCFA
voire plus de gains par jour.
« L’accès à la décharge est libre. Il faut par contre être un dur à
cuir pour y rester, car c’est un milieu empesté de délinquants »,
témoigne-t-il, évoquant des conditions de travail « exécrables à cause
du manque d’équipements ».
Il a toutefois émis le souhait de voir les autorités confier la
gestion de cette décharge à des structures formalisées, publiques ou
privées, pour s’occuper de la formation et de l’embauche des jeunes.
AMN/BK/ASG