Dakar, 1er nov (APS) – Roger Sodade, de son vrai nom Roger Pierre
Moniz, n’a jamais mis les pieds au Cap-Vert mais ce DJ peut symboliser
ce qu’il y a de plus fort dans les liens entre le Sénégal et cet
archipel voisin dont la musique et la culture seront célébrées pendant
10 jours à Dakar, à partir de samedi.
Roger Sodade compte depuis quelques années parmi les promoteurs les
plus déterminés de la musique et de la culture cap-verdienne au
Sénégal.
Il n’est donc pas surprenant de le retrouver parmi les organisateurs
du 2e Festival des musiques du Cap-Vert (FESMUCAP) à Dakar, qui
démarre ce week-end dans la capitale sénégalaise, 20 ans après celui
organisé par l’ancien promoteur Mix Teixeira sur l’ile de Gorée.
Une manière pour Sodade et Isidore Lopez, principal promoteur de cette
manifestation, de contribuer à « redorer le blason de la musique
capverdienne », avec l’ambition de renforcer les activités ludiques
liées à la culture capverdienne au Sénégal pour à terme espérer un
plus grand renforcement de la coopération entre les deux pays.
Le programme du FESMUCAP prévoit des concerts de grands noms de la
musique capverdienne, comme Nancy Vieira, Cordas Do Sol, Ceuzany,
Neuza, mais également des conférences sur l’histoire de la migration
capverdienne.
Le FESMUCAP représenterait presque un accomplissement pour Roger
Moniz, 46 ans, désormais à la tête d’une agence de communication
audiovisuelle et qui a passé une grande partie de ses jeunes années à
raviver les sonorités de la « saudade » dans le cœur des Sénégalais,
contre les vents et les marées des nouvelles tendances de l’industrie
musicale.
Ce natif de Gorée, l’île située à 3 km au large de Dakar, d’un style
plutôt RnB au premier regard, semble avoir 15 de moins que les 46 ans
qu’il affiche, avec ses cheveux longs souvent en dread locks ou en
petites tresses.
Coiffé d’une casquette, il peut faire illusion un moment et faire
penser à un rappeur afro-américain. Sauf qu’en réalité, Sodade est né
d’un père cap-verdien qui n’est autre que Belmiro Moniz, le batteur du
groupe Tam Tam 2000, et a toujours baigné dans l’univers musical des
discothèques.
Pour lui, tout a commencé à Tambacounda, la capitale orientale du
Sénégal, où il a grandi avec sa maman en fréquentant le Niériko, une
boite de nuit située juste en face de chez lui.
Au milieu des années 1990, le jeune Roger, piqué par le virus, se
débrouillant avec n’importe quel matériel qu’il peut avoir sous sa
main, voulant vivre à tout prix faire sa passion, animant des soirées,
des amicales et certaines journées culturelles.
Son beau-père lui offre alors en 1996 son premier matériel de
sonorisation avec lequel il a fait le tour du Sénégal oriental.
Sa persévérance a fini par payer puisqu’il se fait recruter à la
station locale de la Radiotélévision sénégalaise (RTS, publique), en
1998.
DU SÉNÉGAL ORIENTAL À RADIO NOSTALGIE, UN PARCOURS INATTENDU
Intégrer une grande radio, faire de la télé et animer de plus grandes
discothèques : tels étaient à cette époque les objectifs de Roger
lorsqu’il décida d’arrêter définitivement les études à Tamba pour
monter à Dakar.
Après plusieurs mois de galère, il se fait engager comme DJ par les
frères Mendy, footballeurs français d’origine sénégalaise. L’animateur
va ensuite enchainer le DJ-ing dans des discothèques réputées de la
capitale sénégalaise comme « Le Nirvana » ou encore « Le Castel ».
Le destin lui sourit de plus en plus lorsque à peine âgé de 30 ans, il
est recruté dans la plus importante station de radio de l’époque au
début des années 2000, Nostalgie.
Les mélomanes se souviennent encore aujourd’hui de « la fièvre du
samedi soir », une émission qu’il avait lancée en 2004 et animée
pendant deux ans aux rythmes de rétros capverdiens.
« A l’époque, la fièvre du samedi soir était l’émission qui avait le
plus d’audimat, le concept était de retransmettre l’ambiance du samedi
soir à domicile pour ceux qui voulaient rester chez eux »,
explique-t-il.
Zik Afrik 100%, Sodade Show Time, Chaleur tropicale, Arc en Ciel,
l’animateur fait étalage de toute sa culture musicale et multiplie les
concepts devenus des émissions phares sur la radio Nostalgie.
Son passage à Radio Nostalgie, longtemps considérée comme la station
leader en matière d’animation musicale, a contribué à enrichir sa
carrière.
Mais tout ou presque lui retombe dessus quelques années après, entre
2015 et 2016, période marquée par de réelles difficultés financières
pour cette station musicale.
Des difficultés pas franchement attendues, période « la plus sombre » de
cette partie de la carrière de Roger Sodade, avec comme conséquence
plusieurs mois d’arrièrés de salaire vécus par lui et par d’autres.
CONSÉCRATION AVEC LE SHOW TÉLÉVISÉ « SODADE »
La carrière de Roger Pierre Moniz atteint la vitesse de croisière
lorsque Fatah Faris, ancien manager de Philip Monteiro, artiste
sénégalais d’origine capverdienne, lui confie l’animation de
l’émission « Sodade », qui va faire définitivement sa renommée.
« Pour dire vrai, l’émission a été proposée à la base à Philipe
Monteiro, mais Fatah a misé sur moi pour animer l’émission, car il
avait vu en moi un potentiel et pour cela je lui serai reconnaissant à
vie », dit-il.
Roger Sodade se dit très lié à Philipe Monteiro, un ami qu’il a
longtemps côtoyé. Et pour cause, signale-t-il, le tournage des scènes
de l’émission et son montage se faisait chez ce dernier.
Le show « Sodade », diffusé pendant deux ans sur la chaine de télévision
privée 2STV, était devenu un rendez-vous incontournable pour les
mélomanes férus de la musique capverdienne et lusophone en général.
Une notoriété qui lui a finalement valu le surnom de Roger Sodade,
sans compter qu’à partir de là, il était identifié comme l’animateur
attitré des Capverdiens.
« Cela a été une fierté pour moi que l’on m’identifie à toute une
communauté, même si je parle un créole assez basique », relève-t-il,
avant de souligner que cette référence à la limite exclusive lui a
« quand même fermé quelques portes’’, les « grandes discothèques
internationales » l’évitant à l’époque.
Et pourtant, en tant qu’animateur, il estime qu’il avait « une assez
bonne culture des autres styles musicaux » pour faire correctement son
travail avec d’autres références.
LA « PERTE DE VITESSE » DE LA MUSIQUE CAPVERDIENNE
En 25 ans de carrière au Sénégal, l’ex-animateur se satisfait d’avoir
contribué à susciter des vocations et d’avoir inspiré de nombreux
jeunes devenus aujourd’hui de grands noms de l’animation musicale.
Il se désole seulement de constater que la musique capverdienne n’ai
plus son envergue et son influence d’il y a 15 ou 20 ans au Sénégal.
« Cette musique n’est plus consommée comme avant, elle est en perte de
vitesse au Sénégal », se désole Roger Sodade.
« Les messages et les demandes de musique capverdienne ne sont plus à
la page », constate l’ancien DJ, selon qui, la playlist des radios ne
contient que très peu de musique capverdienne.
« Lorsque je faisais la fièvre du samedi soir, les 70% de ma
discothèque était de la musique capverdienne. Les gens écoutaient
cette émission pour cela (…) », mais désormais. « La demande a
fortement baissé, car cette musique n’est plus représentée » comme il
faut sur la scène sénégalaise, note-t-il.
Selon lui, cette situation s’explique par le fait qu’il n’y a plus
d’organisateurs de manifestations musicales et culturelles engagés
dans ce créneau.
La conséquence dit-il c’est que les consommateurs n’ont plus
d’endroits où se retrouver autour de la musique capverdienne.
« Avant, les soirées coladeira sont les seules qui faisaient sortir les
plus de 50 ans. Aujourd’hui il n’y en a presque plus », tranche
l’animateur.
Cela dit, les mélomanes semblent s’être appropriés les « passa dia »
(passer la journée en créole capverdien), transformées en « xawaare »
avec des sonorités capverdiennes mélangées aux dernières tendances
mbalax. Ce qui ne semble pas constituer une consolation, si ce n’est
pas une dénaturation, à entendre Roger Sodade.
A la base, rappelle-t-il, les « passa dia » étaient organisées par la
communauté capverdienne pendant toute une journée et seule la musique
capverdienne assurait l’animation, « maintenant ce n’est plus le cas ».
Il évoque également de la « SanJon » – diminutif de Saint-Baptiste -,
une fête traditionnelle célébrée chaque 23 juin par la communauté
capverdienne au Sénégal.
« Quand je montais sur scène pour présenter la Sanjon, c’était plus
d’un millier de personnes regroupées au collège Sacré-Cœur car c’était
le seul espace qui pouvait accueillir autant de monde et c’était un
évènement attendu », se souvient l’ancien animateur. Cette célébration
peine aujourd’hui à rassembler grand nombre, déplore-t-il.
UNE RADIOTÉLÉVISION LUSOPHONE POUR FINIR
Après avoir créé sa propre agence spécialisée dans l’événementiel en
2017, Roger vient de mettre sur pieds sa propre chaîne de radio et de
télévision dénommée Sodade FM/TV, autour d’une programmation 100/100
lusophone.
Actuellement en phase test, les programmes de ce média seront selon
lui axés totalement sur les musiques et cultures du Cap-Vert, de
l’Angola, du Mozambique, du Portugal, de la Guinée Bissau, du Brésil,
etc.
« J’ai également mis en place une école de formation qui ouvrira
officiellement ses portes en janvier 2020, pour les jeunes qui veulent
se lancer dans les métiers de l’audiovisuel, plus précisément en tant
qu’animateurs radio et présentateurs TV », annonce-t-il.
A ces heures perdues, Roger Sodade, passionné par les pitbulls, élève
cette race de chiens depuis 10 ans. Il dit en avoir 5 chez lui, « ce
n’est pas du tout commercial, mais pour l’amour de cette race que je
trouve merveilleuse, et bien loin de ce que l’on en pense »,
conclut-il.
MF/BK